L’intéroception, ce sens encore peu connu qui nous permet de ressentir et d’interpréter les signaux internes du corps, connaît une véritable renaissance scientifique. Longtemps reléguée à la marge, elle s’impose aujourd’hui comme un marqueur transdiagnostique clé, avec des implications majeures en santé mentale, neurologie, pédiatrie, gériatrie… et même en prévention.
De la régulation émotionnelle à la prise en charge de pathologies complexes comme la maladie de Parkinson, les troubles du spectre autistique (TSA), les troubles de l’humeur ou le vieillissement, l’intéroception offre un nouvel éclairage sur l’interconnexion entre le cerveau, le corps et l’environnement.
L’intéroception, c’est quoi exactement ?
L’intéroception désigne la capacité du système nerveux central à percevoir, interpréter et intégrer les signaux internes de notre corps : battements cardiaques, respiration, sensations viscérales, douleur, température, faim…
Elle se distingue de :
- l’extéroception, qui perçoit les stimuli du monde extérieur (vue, ouïe, toucher…),
- et la proprioception, qui renseigne sur la position du corps dans l’espace.
Ce système de « messagerie interne » fonctionne via des capteurs situés dans nos organes (cœur, poumons, estomac…) qui transmettent des signaux au cerveau, notamment via le nerf vague. Ces informations sont ensuite traitées par l’insula et le cortex cingulaire antérieur, régions clés pour l’émotion et la prise de décision (Prajapati & Siddiqui, 2025).
Une intéroception dysfonctionnelle peut accentuer ou entretenir certains troubles somatiques, neurologiques ou psychiatriques.
🧠 Intéroception et pathologies : un tableau synthétique
La recherche sur l’intéroception connaît un essor sans précédent, portée par les avancées en neurosciences intégratives et les outils de psychophysiologie (Murphy et al., 2024). Les recherches montrent que l’intéroception est impliquée dans de nombreux troubles.
Le tableau ci-dessous résume les liens clés pour les professionnels de santé :
Ce que nous devons savoir…
1. Mesurer l’intéroception
Des outils validés permettent d’évaluer ce sens chez les patients :
- Tâche de perception cardiaque : Demander au patient de compter ses battements de cœur sans utiliser ses doigts (Ainley et al., 2020).
- Questionnaire : Le MAIA (Multidimensional Assessment of Interoceptive Awareness) mesure différentes facettes de la conscience corporelle (Qi et al., 2025).
- Imagerie cérébrale : L’IRM montre l’activation de l’insula lors de tâches intéroceptives (Critchley et al., 2004).
👉 La revue Biological Psychology (Murphy et al., 2024) souligne que l’intéroception ne se limite plus à la viscéroception, mais s’étend à la respiration, au métabolisme, et même à la graviception somatique.
La graviception somatique est la capacité à percevoir la gravité et à s’orienter dans l’espace. Elle combine des signaux de l’oreille interne, des muscles et des organes internes pour maintenir l’équilibre, ajuster la posture et nourrir le schéma corporel. Altérée dans le vieillissement ou les troubles neurologiques, elle joue aussi un rôle dans la régulation émotionnelle.
2. Intéroception et vieillissement
Le vieillissement est associé à une baisse de l’IAcc, ce qui peut :
- altérer la régulation émotionnelle,
- fausser les signaux de faim, soif, douleur,
- nuire à l’autonomie.
🧾 Une méta-analyse (Qi et al., 2025, 21 études, 1532 participants) montre :
- Corrélation négative avec les symptômes dépressifs (-0.11),
- Difficulté accrue à identifier ses émotions (-0.25),
- Amélioration de la régulation émotionnelle avec une meilleure intéroception (+0.30).
3. Intéroception chez l’enfant
L’intéroception émerge dès la petite enfance à travers :
- les interactions affectives,
- la motricité libre,
- le toucher, le jeu, la parole des adultes.
👶 Dès 5 mois, les bébés réagissent aux signaux internes (Maister et al., 2017). Une exposition excessive aux écrans ou un déficit de contact physique peut nuire à cette construction, en particulier chez les enfants TSA ou TDAH (Trevisan et al., 2024).
➡️ Des jeux simples comme « Écoute ton cœur après avoir couru » permettent d’explorer ce sens (Brand et al., 2025).
Applications pratiques pour les professionnels
Pour les enfants :
- Jeux corporels, comptage du pouls, auto-questionnaires adaptés (SAQ-C).
- Favoriser les interactions physiques (jeux, câlins, portage).
Pour les adultes :
- Entretien explorant la conscience corporelle (« Remarquez-vous souvent votre cœur ? »),
- Tâches de détection cardiaque,
- EEG ou IRM en recherche.
Interventions efficaces :
- Pleine conscience : Méditations centrées sur la respiration (Farb et al., 2015),
- Biofeedback : Rétroaction sur les rythmes corporels,
- Activités corporelles : Yoga, tai-chi, danse thérapeutique,
- Thérapies cognitives : Exposition aux sensations internes (Boetcher et al., 2016),
- Technologies : TMS ou stimulation du nerf vague (Qi et al., 2025).
💬 Et maintenant ?
L’intéroception est une clé de lecture puissante pour comprendre les liens entre corps et esprit. Elle nous invite à écouter autrement nos patients, à croiser neurosciences et expérience vécue, à repenser nos prises en charge.
Et vous, comment pourriez-vous intégrer l’intéroception dans votre pratique dès aujourd’hui ?
Partagez vos idées ou retours dans les commentaires – faisons circuler le savoir ensemble ✨
Élise N. – Avec MonRFS, le savoir se partage 🤝
Références
- Ainley, V., et al. (2020). Frontiers in Psychology, 11, 1834.
- Boetcher, H., et al. (2016). The science of cognitive behavioral therapy, 273–294.
- Brand, J. R., et al. (2025). Neuroscience and Biobehavioral Reviews, 172, 106161.
- Critchley, H. D., et al. (2004). Nature Neuroscience, 7(2), 189–195.
- Farb, N., et al. (2015). Frontiers in Psychology, 6, 763.
- Garfinkel, S. N., et al. (2015). Biological Psychology, 104, 65–74.
- Garfinkel, S. N., et al. (2016). Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 71, 851–860.
- Maister, L., et al. (2017). Neuroscience and Biobehavioral Reviews, 76(Pt A), 65–74.
- Murphy, J., et al. (2024). Biological Psychology, 184, 108851.
- Pollatos, O., et al. (2016). Eating Behaviors, 9(4), 381–388.
- Prajapati, S. K., & Siddiqui, M. I. (2025). Autonomic Neuroscience, 263, 103258.
- Qi, M., et al. (2025). Neuroscience and Biobehavioral Reviews, 172, 106104.
- Rau, H., et al. (1996). Psychophysiology: From basic research to clinical application, 203–224.
- Roberts, J. L., et al. (2022). Journal of Behavioral Medicine, 45(3), 373–385.
- Trevisan, D. A., et al. (2024). Developmental Science, 27(2), e13456.
- Wolters, C., et al. (2022). Clinical Psychology Review, 92, 102126.
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