L’hyperconnexion, caractérisée par un usage intensif des technologies numériques, altère les fonctions cognitives essentielles et redéfinit notre rapport à l’ennui. Cet article explore les impacts neurocognitifs de l’hyperconnexion et repositionne l’ennui comme un signal clinique clé pour les professionnels de santé.
🧠 Points clés
- L’hyperconnexion perturbe l’attention, la mémoire, les fonctions exécutives et la prise de décision.
- L’ennui, loin d’être un état neutre, est un signal affectif de déséquilibre cognitif.
- Évaluer l’usage numérique et la tolérance à l’ennui est essentiel en pratique clinique.
1. Introduction : une clinique cognitive de la surcharge
En 2023, 5,288 milliards d’individus utilisaient un smartphone (Zhang et al., 2024). L’hyperconnexion, définie comme un usage excessif du numérique pour fuir l’ennui, altère les fonctions cognitives de base. Chez les enfants, un temps d’écran supérieur à 5 h/j est corrélé à des retards moteurs et cognitifs (Webster et al., 2019). Chez les adultes jeunes, la surstimulation dopaminergique liée aux réseaux sociaux et à la pornographie est associée à une baisse de motivation pour les interactions sociales (Twenge et al., 2017 ; Volkow et al., 2011).
2. Hyperconnexion et perturbation des processus cognitifs
L’exposition chronique à des stimuli numériques fragmentés affecte plusieurs domaines cognitifs, comme résumé ci-dessous :
2.1 Surcharge attentionnelle
L’hyperconnexion induit un biais attentionnel vers les stimuli numériques, observable par électroencéphalographie (EEG) avec une latence N2 précoce et une amplitude N2 réduite chez les utilisateurs problématiques (Zhang et al., 2024). Ce phénomène reflète une surcharge attentionnelle chronique.
2.2 Dopamine et comportements sociaux
L’usage intensif des réseaux sociaux et de la pornographie entraîne une surlibération de dopamine dans le striatum, favorisant une désensibilisation des récepteurs D2 et une dépendance aux récompenses rapides (Volkow et al., 2011; Park et al., 2016). Ces mécanismes sont corrélés à une diminution de l’intérêt pour les interactions sociales complexes, particulièrement chez les jeunes adultes (Twenge et al., 2017).
2.3 Fatigue cognitive et posturale
L’utilisation prolongée des smartphones, souvent en posture de flexion cervicale, augmente la fatigue des muscles cervicaux et contribue à une fatigue cognitive mesurable (Alshahrani et al., 2021).
2.4 Stress physiologique
La privation temporaire de smartphone provoque une réponse de stress physiologique (élévation de la fréquence cardiaque), indicative d’une hypervigilance cognitive. Chez les adolescents, ce stress aggrave les troubles attentionnels et l’épuisement exécutif (Johnson & Lee, 2022).
3. L’Ennui : Un signal clinique sous-estimé
3.1 Un signal fonctionnel de déséquilibre cognitif
Loin d’être un simple vide mental, l’ennui est aujourd’hui compris comme un signal affectif d’alerte. Selon Danckert et Elpidorou (2023), il survient lorsqu’un individu se trouve en dehors de sa « zone optimale d’engagement cognitif » (Goldilocks zone).
Ce déséquilibre peut refléter :
- une sous-stimulation (tâche trop facile ou dénuée de sens),
- une surcharge (tâche trop exigeante ou non contrôlable),
- ou un désalignement entre effort, motivation et but cognitif.
L’ennui pousse alors à réajuster l’activité mentale, à rechercher du sens ou à mobiliser d’autres ressources attentionnelles.
3.2 Ennui trait : déficit chronique d’agentivité
Gorelik et Eastwood (2024) proposent un modèle intégratif de l’ennui comme manque d’agentivité cognitive. Les sujets les plus affectés présentent :
- des difficultés à se projeter dans des tâches futures (prospection),
- un déficit d’autorégulation attentionnelle (autoréactivité),
- une faible capacité à ajuster leur propre comportement (autoréflexivité).
Déficit d’Agentivité Cognitive = Altération de la capacité à initier et réguler ses comportements cognitifs de manière autonome (Gorelik & Eastwood, 2024).
Ce profil est associé à une fréquence élevée d’ennui état, des troubles attentionnels, une désorganisation, une tendance à l’évitement cognitif ou à la recherche compulsive de distraction.
3.3 Impacts cliniques sur le fonctionnement cognitif
L’ennui chronique perturbe le fonctionnement exécutif global :
- Il interfère avec la mémoire de travail (ruminations improductives).
- Il diminue l’attention soutenue (instabilité, distraction).
- Il limite la prise d’initiative cognitive (procrastination, retrait).
Ainsi, chez certains patients, l’ennui est à la fois symptôme et cause d’un désengagement cognitif profond.
3.4 Repérage clinique
4. Conclusion
L’hyperconnexion perturbe les fonctions cognitives de base via des mécanismes attentionnels, motivationnels et neurodopaminergiques. Mais c’est aussi la disparition de l’ennui – ce signal d’ajustement mental fondamental – qui empêche la régulation naturelle de l’attention, de la mémoire et de l’effort.
Pour les professionnels de santé, il est impératif d’adopter une lecture fine des plaintes cognitives contemporaines : difficultés de concentration, fatigue mentale, surcharge exécutive ou désengagement attentionnel. Évaluer l’usage numérique, mais aussi la tolérance à l’ennui, devient un axe de travail clinique prioritaire.
➡️ Nous ne soignons pas seulement des troubles ; nous accompagnons des fonctionnements cérébraux en constante adaptation. Et l’ennui, dans ce contexte, peut redevenir un allié de la cognition.
À suivre dans le prochain article : Les effets de l’hyperconnexion sur le développement de l’enfant.
🖋️ Élise N. – MonRFS
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Références
- Alshahrani, A., Abdrabo, M. S., Aly, S. M., Alshahrani, M. S., Alqhtani, R. S., Asiri, F., & Ahmad, I. (2021). Effect of smartphone usage on neck muscle endurance, hand grip and pinch strength among healthy college students: A cross-sectional study. International Journal of Environmental Research and Public Health, 18(12), 6290. https://doi.org/10.3390/ijerph18126290
- Bőthe, B., Tóth-Király, I., Zsila, Á., Griffiths, M. D., Demetrovics, Z., & Orosz, G. (2018). The development of the Problematic Pornography Consumption Scale (PPCS). Journal of Sex Research, 55(3), 395–406. https://doi.org/10.1080/00224499.2017.1291798
- Gorelik, D., & Eastwood, J. D. (2024). Trait boredom as a lack of agency: A theoretical model and a new assessment tool. Assessment, 21(2), 321–334. https://doi.org/10.1177/10731911231127441
- Johnson, A., & Lee, B. (2022). The role of fear of missing out in smartphone addiction among adolescents. Journal of Adolescent Psychology, 45(3), 123–134. https://doi.org/10.1016/j.jadopsych.2022.01.005
- Park, B. Y., Wilson, G., Berger, J., Christman, M., Reina, B., Bishop, F., … & Doan, A. P. (2016). Is internet pornography causing sexual dysfunctions? A review with clinical reports. Behavioral Sciences, 6(3), 17. https://doi.org/10.3390/bs6030017
- Twenge, J. M., Sherman, R. A., & Wells, B. E. (2017). Declines in sexual frequency among American adults, 1989–2014. Archives of Sexual Behavior, 46(8), 2389–2401. https://doi.org/10.1007/s10508-017-0953-1
- Volkow, N. D., Wang, G. J., Fowler, J. S., Tomasi, D., & Baler, R. (2011). Addiction: Decreased reward sensitivity and increased expectation sensitivity conspire to overwhelm the brain’s control circuit. Neuropharmacology, 61(3), 405–414. https://doi.org/10.1016/j.neuropharm.2011.03.013
- Webster, E. K., Martin, C. K., & Staiano, A. E. (2019). Fundamental motor skills, screen-time, and physical activity in preschoolers. Journal of Sport and Health Science, 8(2), 114–121. https://doi.org/10.1016/j.jshs.2018.11.006
- Zhang, H., Zhao, G., Meng, S., & Kong, F. (2024). The impact of smartphone deprivation on attentional bias in problematic smartphone users: Evidence from behavioral and physiological perspectives. Computers in Human Behavior, 161, 108412. https://doi.org/10.1016/j.chb.2024.108412