Votre patient a eu une entorse bénigne… et 18 mois plus tard, il se méfie toujours de sa cheville ? Appui incertain, récidives, douleurs sourdes, instabilité fonctionnelle persistante ? Vous n’êtes pas seul à constater ce phénomène.
Les entorses latérales de la cheville sont omniprésentes en cabinet, particulièrement chez les sportifs. Pourtant, même une entorse légère (grade 1) peut évoluer vers une instabilité chronique, marquée par des douleurs persistantes, des récidives et une méfiance durable envers l’articulation.
Pourquoi ces récupérations incomplètes ? Et surtout, comment adapter nos prises en charge pour éviter la chronicisation ?
Un problème sous-estimé : l’instabilité persistante
Julien, 28 ans, coureur amateur, consulte 18 mois après une entorse de grade 1. Il a suivi une rééducation standard. Mais aujourd’hui encore, il ressent que sa cheville “flanche” dans les escaliers.
Ce tableau est fréquent. Et il remet en question l’approche basée uniquement sur la gravité lésionnelle.
La littérature récente pointe un facteur clé souvent négligé : l’inhibition musculaire arthrogène (AMI), un phénomène neuromusculaire qui perturbe la stabilité bien au-delà de la lésion ligamentaire.
AMI – inhibition musculaire arthrogène : réflexe du système nerveux central qui empêche la contraction volontaire d’un muscle, malgré une musculature intacte, suite à un traumatisme articulaire.
Les mécanismes en jeu : au-delà des ligaments
L’AMI, bien documentée dans les blessures du genou, affecte également la cheville. Après une entorse latérale aiguë :
- Le soléaire subit une inhibition réflexe bilatérale, compromettant la stabilité globale (Kim et al., 2024).
- Les muscles fibulaires, essentiels au contrôle latéral, montrent une activation réduite, même du côté sain (Wang et al., 2024).
Ces altérations persistent, favorisant l’instabilité chronique de cheville (CAI) (Thompson et al., 2023).
Facteurs aggravants : identifier les profils vulnérables
Tous les patients ne développent pas une CAI. Certains profils sont plus à risque :
- Charge mentale élevée : anxiété, stress ou perfectionnisme amplifient l’AMI (Gribble et al., 2025).
- Troubles du sommeil : une mauvaise qualité de sommeil (PSQI >5) double le risque d’instabilité chronique (Gribble et al., 2025).
- Laxité ligamentaire : une constitution articulaire souple aggrave les déséquilibres.
PSQI – Pittsburgh Sleep Quality Index: questionnaire utilisé pour évaluer la qualité du sommeil. Un score >5 indique un sommeil perturbé.
HADS – Hospital Anxiety and Depression Scale: échelle rapide pour dépister l’anxiété et la dépression.
Score de Beighton : outil clinique pour évaluer la laxité articulaire généralisée.
Repenser la prise en charge : une approche ciblée
Les recommandations actuelles privilégient une mobilisation précoce pour les entorses de grade 1. Pourtant, chez certains patients, cette stratégie favorise les récidives. Une immobilisation relative (attelle, 2-3 semaines) peut réduire l’AMI et améliorer la stabilité perçue à 6 mois, sans compromettre la mobilité (Chen et al., 2023).
Pour les profils à risque, la rééducation doit intégrer :
- Entraînement sensorimoteur : exercices prolongés (minimum 6 semaines) sur plan instable pour restaurer l’équilibre (Silva et al., 2024).
- Stimulation neuromusculaire (NMES) : ciblée sur le fibulaire long pour booster le contrôle moteur (Zhang et al., 2024).
- Gestion psychophysiologique : prise en charge du stress et du sommeil pour optimiser la récupération (Gribble et al., 2025).
Une méta-analyse récente confirme que des programmes de rééducation de plus de 4 semaines améliorent significativement la fonction dans la CAI (Li et al., 2025).
En résumé
L’instabilité chronique de cheville n’est pas seulement un problème biomécanique : elle reflète des dysfonctionnements neuromusculaires et psychophysiologiques. Les soignants doivent :
- Évaluer systématiquement les facteurs de risque (sommeil, stress, laxité).
- Adapter la prise en charge, en envisageant une immobilisation ciblée et une rééducation prolongée.
- Intégrer les neurosciences pour prévenir la chronicisation.
L’instabilité de cheville, comme l’hyperconnexion, est une problématique clinique émergente. Réhabiliter le contrôle neuromusculaire et reconnaître les profils à risque est une piste prometteuse pour restaurer la fonction et la confiance des patients.
Et vous ?
Avez-vous déjà été confronté à ce type de récupération incomplète ? Avez-vous adapté vos protocoles selon le profil du patient ? Utilisez-vous des outils comme le PSQI ou le NMES dans vos suivis ?
Partagez vos retours terrain, vos stratégies, vos questions. Ce sont vos expériences qui font évoluer les pratiques.
🖋 Arnaud F. – Avec MonRFS, le savoir se partage
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Références
- Chen, H. et al. (2023). Effects of Short-Term Immobilization on Neuromuscular Recovery in Grade 1 Ankle Sprains. Clinical Biomechanics, 108, 106054.
- Gribble, P.A. et al. (2025). Psychophysiological Factors in Chronic Ankle Instability. British Journal of Sports Medicine, 59(3), 145-152.
- Kim, K.M. et al. (2024). Reflex Inhibition of the Soleus in Chronic Ankle Instability. Journal of Orthopaedic & Sports Physical Therapy, 54(2), 87-95.
- Li, H. et al. (2025). Long-Term Rehabilitation for Chronic Ankle Instability. Scientific Reports, 15, 2345.
- Silva, R. et al. (2024). Long-Term Effects of Sensorimotor Training on Chronic Ankle Instability. Journal of Orthopaedic Research, 42(7), 1345-1356.
- Thompson, C. et al. (2023). Neuromuscular Changes Following Lateral Ankle Sprains. Journal of Athletic Training, 58(11), 923-931.
- Wang, L. et al. (2024). Role of Reflex Inhibition in Ankle Stability Post-Injury. Physical Therapy in Sport, 65, 12-20.
- Zhang, L. et al. (2024). Neuromuscular Stimulation in Ankle Rehabilitation. Addictive Behaviors, 145, 107765.