« Comment vais-je lui dire ? »
Cette question hante tout soignant – médecin, infirmier, sage-femme, ergothérapeute, psychologue. Annoncer un diagnostic comme la mucoviscidose, ou une décision grave en réanimation, constitue un moment-charnière pour les familles.
Neuropsychologue et mère, j’ai expérimenté de l’intérieur la complexité de ces instants où chaque mot pèse. Car derrière ces annonces se jouent des enjeux humains, psychologiques et juridiques majeurs.
Comment transmettre une vérité douloureuse sans briser la confiance ? Explorons les défis et les leviers pour mieux accompagner.
Un moment décisif
Un diagnostic grave bouleverse la trajectoire de vie des patients comme de leurs proches (Challan Belval & Semon, 2025). Une annonce maladroite – trop technique, trop froide – peut accentuer anxiété, dépression et rupture de lien (Ducos, 2022 ; Misery et al., 2014). En réanimation, les conséquences sont d’autant plus marquées : 20 à 50 % des familles développent un PICS-F, un syndrome de stress post-traumatique spécifique (Ducos, 2022).
Pourtant, 91 % des soignants se disent démunis face à ces situations, souvent contraintes à l’improvisation (Tremblay et al., 2024). Informer n’est pas seulement une compétence humaine : c’est une obligation éthique et légale.
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et la loi Kouchner (2002) imposent une communication claire, sous peine d’engager la responsabilité pénale (Chiffert et al., 2025). La rigueur et la préparation ne sont donc pas accessoires : elles sont fondamentales.
Les processus psychologiques en jeu
Une annonce difficile déclenche chez les familles des réactions émotionnelles puissantes :
- Culpabilité : « Ai-je causé cette maladie ? »
- Honte : Crainte d’être jugé ou stigmatisé.
- Injustice : « Pourquoi nous ? Pourquoi un si jeune enfant ? »
- Blessure narcissique : Effondrement de l’image d’un corps sain ou d’un avenir idéalisé (Challan Belval & Semon, 2025).
Face à ces émotions, le psychisme mobilise des mécanismes de défense inconscients :
- Déni : « Les tests sont sûrement erronés. »
- Projection agressive : « Vous n’avez rien fait pour l’éviter ! »
- Isolation affective : Discours détaché, sans affect apparent.
En réanimation, ces dynamiques peuvent alimenter un PICS-F, déjà favorisé par l’isolement et les ruptures de communication (Ducos, 2022).
Et les soignants ? Ils ne sont pas épargnés.
L’annonce peut générer une peur de nuire, un sentiment d’impuissance, voire une culpabilité paralysante. D’où des attitudes défensives comme :
- La fuite en avant : Déverser des détails techniques pour éviter l’échange émotionnel.
- La fausse réassurance : Minimiser la gravité pour apaiser l’angoisse du moment (Challan Belval & Semon, 2025).
Comprendre ces dynamiques, c’est se donner les moyens de réhumaniser l’annonce et de renforcer la relation thérapeutique.
Des contextes, des impacts
Chaque annonce a ses particularités, en voici quelques exemples :
- Mucoviscidose : Un choc initial mêlé à une avalanche de questions pratiques et émotionnelles.
- Réanimation : Une décision de LAT (limitation ou arrêt des traitements) ou un décès peut déclencher un PICS-F.
- Mélanome : Le mot « cancer » suscite une peur immédiate, malgré des traitements efficaces.
Certains contextes rendent l’annonce encore plus vulnérabilisante : 15 à 20 % des mères risquent une dépression post-partum, aggravée en cas de diagnostic grave (Graindorge, s.d.). La présence des proches, dans 16 à 75 % des cas, est un soutien, mais peut aussi relayer des inquiétudes (Delevallez et al., 2014).
Mieux accompagner : des repères pratiques
Une annonce bien conduite peut apaiser, renforcer la confiance et ouvrir à la coopération. Voici quelques leviers efficaces :
- Clarté : Bannir le jargon. Expliquer simplement. Ex. : « La mucoviscidose est une maladie qui touche les poumons et la digestion. Il existe des traitements pour l’aider. »
- Empathie : Un regard bienveillant, une écoute active, une pause pour respirer.
- Temporalité : Laisser du temps pour intégrer l’information, prévoir un second temps d’échange.
- Implication des proches : Leur donner une place, les autoriser à poser des questions.
- En réanimation : Privilégier un espace calme, hors du tumulte des machines, pour créer une bulle d’humanité.
Zoom sur les recommandations de la HAS
Le guide Annoncer une mauvaise nouvelle de la Haute Autorité de Santé (2008) reste une référence incontournable. Destiné aux professionnels de santé, il vise à structurer les pratiques d’annonce, en s’appuyant sur des principes éthiques, juridiques et relationnels.
Il insiste sur trois piliers :
- Clarté et transparence : Adapter le discours aux capacités de compréhension, dans le respect du cadre légal.
- Empathie : Valider les émotions, sans les balayer.
- Accompagnement : Proposer un suivi, qu’il soit psychologique, associatif ou médical.
Ce guide est disponible sur le site de la HAS.
Ce que j’ai appris avec ma casquette de maman et de neuropsy
Je me souviendrai toujours du jour où le diagnostic de mucoviscidose est tombé pour mon fils.
Il avait un mois.
Dans un bureau sombre, trois professionnels inconnus nous attendaient.
Trois heures d’échange, trois discours identiques.
À la fin, cette phrase m’a glacée :
« Vous faites partie du métier, on ne va pas prendre de pincettes. »
Mais ce jour-là, j’étais d’abord une mère. Pas une professionnelle « blindée ».
Ce moment a été fondateur.
J’ai ressenti la sidération, la culpabilité : comment avais-je pu être porteuse sans le savoir ?
et l’injustice : pourquoi lui ? Pourquoi nous ?
On m’a conseillé de ne pas en parler trop vite à notre entourage pour « nous préserver ».
Mais le silence m’a pesé.
Mes proches avaient déjà partagé les étapes depuis le premier courrier de contrôle du test de Guthrie.
Je n’ai pas pu, ni voulu, les laisser à l’écart.
Aujourd’hui, cette expérience me suit dans ma pratique.
Je fais attention aux mots, au ton, à la posture.
Pourtant, malgré la vigilance, il m’arrive encore de sentir, après coup, qu’un mot n’était pas le bon, qu’un silence a pesé.
Je n’ai jamais été formée à l’annonce. Et ça se sent.
Ce n’est pas tant ce que l’on dit qui importe. C’est comment on est.
Cette épreuve m’a appris l’importance d’une communication structurée, chaleureuse, humaine.
Écouter, clarifier, impliquer: des gestes simples, mais puissants, pour transformer un moment douloureux en un espace de lien.
C’est cette conviction qui guide aujourd’hui mon travail.
Et maintenant ?
Comment se préparer à ces annonces ? Le prochain article abordera la simulation comme outil de formation.
Et vous, quelles expériences d’annonceavez-vous traversées, vécues, données ?
Vos témoignages comptent.
Partagez-les en commentaire.
Élise N. – Avec MonRFS, le savoir se partage
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Références
- Bied-Charreton, X. (2000). Le livre des secrets : Petit manuel à l’usage des docteurs des personnes gravement handicapées. Groupe Polyhandicap France.
- Challan Belval, A., & Semon, E. (2025). Annonce d’une mauvaise nouvelle concernant un enfant. Journal de pédiatrie et de puériculture, 38, 72-78.
- Chiffert, A., Djadoun, W., Bart, S., Legeais, D., & Comparato, I. (2025). La responsabilité pénale des professionnels de santé : mythe et réalité. Progrès en Urologie – FMC, xx, 1-8.
- Delevallez, F., Lienard, A., Gibon, A.-S., & Razavi, D. (2014). L’annonce de mauvaises nouvelles en oncologie : l’expérience belge. Revue des Maladies Respiratoires, 31(8), 721-728.
- Ducos, G. (2022). Annonce de mauvaise nouvelle en réanimation. Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation, 2, 246-275.
- Dusol, F. (s.d.). Les annonces du polyhandicap. In C. Husse (Coord.), Vivre et grandir polyhandicapé (pp. 9-12).
- Ernoult, C. (2013). Accompagnement en fin de vie. Pediatriepalliative.org.
- Graindorge, C. (s.d.). L’enfant : Un être pris dans des interactions avec ses parents. In Spécificité de la maladie de l’enfant (chapitre 2).
- Husse, C., & Juzeau, D. (s.d.). Une annonce ou des annonces ? In C. Husse (Coord.), Vivre et grandir polyhandicapé (pp. 1-7).
- Maleyrot, E., Teisseire, M., & Thefenne, L. (2018). Former à l’analyse des pratiques en rééducation : Le GEAPR, une expérience innovante. Kinésithérapie, la revue, 18(200), 12-18.
- Malifarge, S. (2010). L’enfant handicapé et sa famille : Approche ergothérapique. Editions Solal.
- Misery, L., Legoupil, D., Schollhammer, M., Brenaut, E., Abasq, C., Roguedas-Contios, A.-M., & Chastaing, M. (2014). Annonce d’une mauvaise nouvelle en dermatologie. Annales de dermatologie et de vénéréologie, 141(10), 729-735.
- PR Newswire. (2025). Simulation training improves nurse confidence in delivering bad news. PR Newswire.
- Teisseire, M., Maleyrot, E., & Thefenne, L. (2018). Le GEAPR : Une expérience de formation à l’analyse des pratiques en rééducation. Kinésithérapie, la revue, 18(200), 19-25.
- Tremblay, L., Dubois, P., & Martin, J. (2024). Challenges in delivering bad news: A survey of healthcare professionals. Journal of Medical Communication, 12(3), 45-52.
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